MÉMOIRES D

MÉMOIRES D'UN RÉVOLUTIONNAIRE ET AUTRES ÉCRITS POLITIQUES 1908-1947, de Victor SERGE, Bouquins Robert Laffont, 2001

 

 

 

Ces jours-ci est publié un carnet inédit rédigé par André Malraux au cours de son voyage en URSS en 1934, et relatant notamment ses impressions du « Congrès des écrivains soviétiques » de la deuxième quinzaine d'août. Banalités et insignifiances qui n'empêchent pas toute la presse (jusqu'au Canard enchaîné du 13 juin qu'on aurait cru moins servile) d'en faire des caisses. Puissance de la maison Gallimard et dévotion pour le Grand homme ! Pour faire contrepoids, rien ne vaut la lecture de Victor Serge, et notamment de ce Destin d'une révolution - URSS 1917-1937 finalisé à Bruxelles en janvier 1937, dont voici un extrait du chapitre 7 Le culte du chef – La note est de Jean Rière :

 

...L'écrivain Avdeïenko, dans un discours prononcé au congrès des écrivains de 19351, diffusé par la TSF et reproduit par toute la presse soviétique, répète à chaque phrase : « Merci Staline ! » - « Merci, car je suis bien portant, merci, car je suis joyeux, merci car... » et termine en disant : « Ma femme attend un enfant, le premier mot que prononcera notre enfant, ce sera le nom de Staline ! » Et les écrivains applaudissent, tonnerre d'applaudissements ! Dans la salle, André Malraux, Ehrenbourg, Jean-Richard Bloch, Aragon. Ils applaudissent aussi, je n'en doute pas. Mais ceci n'est que ridicule et les écrivains en question ont des raisons suffisantes pour endosser quelque ridicule avec bonne volonté.

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1 . Il s'agit plutôt du «Congrès des écrivains soviétiques» (le premier depuis la dissolution, en avril 1932, de l'Association des écrivains prolétariens, la RAPP) tenu à Moscou du 17 août au 1er septembre 1934 avec, au nom des écrivains français : A. Malraux, J.-R. Bloch, P. Nizan, L. Aragon, V. Pozner. Il faut considérer le Congrès tenu à Paris du 21 au 25 juin 1935, Salle de la Mutualité, et comme le prolongement élargi de celui de 1934 et comme une manœuvre idéologique orchestrée de bout en bout par les staliniens avec l'aide de « compagnons de route » à l'esprit critique soit inexistant soit mis en veilleuse par intérêt.

 

 

Victor Serge (Bruxelles, 1890 - Mexico, 1947), a une importance comparable à George Orwell ainsi que le montre l'introduction de Jil Silberstein. Et comme Orwell selon Philippe Dagen (voir Cr Dagen/Le M 3/Orwell), il est un anti-Malraux :

 

S'il faut lire aujourd'hui Victor Serge comme on lit George Orwell, c'est bien sûr pour le caractère unique, irremplaçable, de leurs créations littéraires... toutes deux inspirées par la radicalité éthique et par les évènements en cours, autant que par un sensuel et spirituel attachement au monde. C'est également pour ce qu'ils nous apprennent d'hommes, de faits et de situations travestis ou manipulés (ainsi le rôle du POUM [Parti ouvrier d'unification marxiste] dans la guerre d'Espagne). Mais c'est aussi, et peut-être surtout, pour ce que leur fréquentation renforce en nous d'hygiène intellectuelle (Orwell avec son style résolument plat, Serge fort d'une fougue contagieuse)... laquelle hygiène, accordant de mieux décrypter ce qui se passe autour de nous comme en nous-mêmes, nous rappelle au sens de l'histoire et à certains devoirs qu'implique l'inconfortable « métier de vivre ».

 

Sa vie fut extraordinaire. D'abord un des fers de lance du mouvement anarchiste français, il fut proche de membres de la « bande à Bonnot », ce qui lui vaudra une injuste condamnation à cinq ans de prison. Il rejoint la révolution russe en janvier 1919. Son opposition à Staline sera la cause de sa déportation dans l'Oural début 1933. Il fut sauvé grâce à des amis français et belges et malgré le PCF et ses affidés comme Malraux, ainsi que l'explique Jil Silberstein :

 

...en France, en Belgique, un petit groupe d'amis et de sympathisants qui se doutent bien que la déportation constitue l'antichambre de la liquidation, s'alarment. Commence une lutte acharnée ayant pour nom : « L'Affaire Victor Serge ». Parmi ceux qui se battent pour le rapatriement de cet irréductible et dont plus d'un s'est vu exclure du parti communiste : Magdeleine Paz, Jacques Mesnil, Marcel Martinet, Henry Poulaille, Georges Duhamel, Léon Werth, Charles Vildrac, Panaït Istrati, Paul Signac, Charles Plisnier, Maurice Wullens, Maurice Dommanget, Louis Bouët. D'autres encore. C'est qu'il faudrait les citer tous, tant leur combat est inégal face à la terrifiante puissance d'un PCF totalement aligné sur Moscou. Que peuvent ces voix qui s'élèvent dans La Révolution prolétarienne et autres revues de gauche peu en odeur de sainteté parmi l'orthodoxie communiste, contre l'hostilité de staliniens comme Aragon, Ehrenbourg, Barbusse, Pozner, J.-R. Bloch, la tiédeur d'un Breton et des trotskistes, l'opportunisme d'un Vaillant-Couturier et les intrigues d'un Malraux, cet « ami de l'URSS » ?

C'est pourtant grâce à ces gens, à leur acharnement, que, de guerre lasse, deux écrivains français très influents — Romain Rolland et André Gide — intercèderont auprès de Staline... sauvant in extremis cet importun « non consentant » d'une mort certaine. En avril 1936, dépossédé de tous ses manuscrits et archives personnelles, Serge est expulsé.

 

Juin 2007

 

J'oubliais - la coupe du mépris pour Malraux était déjà trop pleine ! - de parler de l'épisode de 1947 que Chronicart résume de cette façon à l'adresse http://www.chronicart.com/livres/chronique.php?id=9155"Serge demeure un inclassable gênant, ainsi que le montre le geste pitoyable de Malraux, qui tentera d’en faire un repenti convaincu par le gaullisme". J'y reviendrai plus tard...

 

Un contributeur anonyme à l'encyclopédie Wikipédia signale cet extrait du livre de Victor Alba Histoire du P.O.U.M. (éditions Ivrea), page 347 :

Dans Ce soir, un journal communiste camouflé, fondé grâce à l'argent du ministère de la Propagande de la République espagnole, Louis Aragon parle des crimes du P.O.U.M. et insinue que Nin se trouve en Allemagne. André Malraux approuva la persécution. Le trouvant un jour dans un café, Victor Serge met la conversation sur le P.O.U.M. ; Malraux l'interrompt : "J'accepte les crimes de Staline où qu'ils soient commis." Serge ne peut se contenir et lui lance à la tête le contenu de sa tasse de café.

 

Septembre 2007