LIBRES MÉMOIRES

LIBRES MÉMOIRES, de Henriette NIZAN et Marie-José JAUBERT, Robert Laffont, 1989,  &  L’amitié entre André Malraux et Paul Nizan dans les années 30, article de Marleen RENSEN, internet

 

 

Ce livre de souvenirs d'Henriette Nizan (01.1907 – 12.1993) est fort intéressant, sa vie ayant été remarquable et passionnante. D'abord au côté de Paul-Yves Nizan dont on connait le parcours, puis aux États-Unis où elle s'est exilée de 1940 à 1945 après la disparition de son mari, et où on la suit dans les milieux artistiques de New York (Fernand Léger, Calder, Henry Miller...), puis à Hollywood où elle travaille au doublage de films de la MGM et fréquente les milieux du cinéma (Renoir, Buñuel, Duvivier, Stroheim, Buster Keaton...). Au retour à Paris, on la voit dans le Saint-Germain des Prés de la grande époque « existentialiste » et à Montparnasse... Bref, un parcours hors norme qu'elle évoque de façon captivante. On assiste aussi en juillet 1948 au mariage de sa fille Anne-Marie Nizan avec ... Olivier Todd ! Le témoin : Jean-Paul Sartre ! Le monde est petit !

 

Un des attraits du livre est dans la relation des rencontres avec André Malraux, Paul Nizan et lui ayant suivi des routes parallèles dans les années 30. Toutefois le témoignagne doit être pris avec circonspection, Henriette Nizan ayant bénéficié des largesses du ministre de l'Information du général de Gaulle, il est vrai pour un temps très court :

Ma carrière au ministère de l'Information se résuma ainsi : le 1er décembre 1945, j'étais nommée « rédactrice principale de troisième classe », le 1er février 1946, la rédactrice principale de troisième classe était en « congé sans traitement ».

 

Les relations entre Malraux et Nizan sont analysées dans un article de l'universitaire néerlandaise Marleen Rensen consultable à l'adresse http://www.andremalraux.com/malraux/articles/malraux_et_nizan.htm

D'abord, deux remarques, mineures, sur cet article :

André Malraux et Paul-Yves Nizan sont nés respectivement les 3 novembre 1901 et 7 février 1905. Ils avaient donc une différence d'âge de 3 ans et 3 mois (et non 4 ans).

A sa mort Nizan avait terminé le manuscrit d'un roman qu'il avait intitulé en définitive Les Amours de septembre (et non Une soirée à Somosierra), manuscrit qu'un ami avait enterré à « Jumelle » (peut-être Jumel dans la Somme ?) mais qui ne fut pas retrouvé (voir page 379 de Libres Mémoires).

La critique essentielle porte sur les erreurs d'appréciation qu'entraine l'indulgence, voire l'admiration, pour les actes d'André Malraux. Par exemple, il n'est pas sérieux d'écrire : En 1923, Malraux se rend en Indochine ; trois ans plus tard, Nizan part pour Aden, c'est à dire de mettre sur le même plan une expédition de pillage et un exil salarié. Les fruits de ces expériences, que l'auteur ne mentionne pas, ne sont pas non plus comparables : un médiocre roman, La Voie royale, pour l'un, un superbe essai, Eden Arabie, pour l'autre. Autre exemple, l'attitude, lâche et opportuniste, de Malraux face au pacte germano-soviétique est passée sous silence.

Une autre critique, qui avait dû aussi être faite à Jeanyves Guérin lorsqu'il comparait les engagements de Malraux et Sartre (voir Ad Guérin), porte sur l'occultation des motivations respectives de Malraux et Nizan. On se souvient que Malraux s'était engagé à gauche d'abord par intérêt, comme le montre Clara (voir TH Clara M) :

… aucune tâche précise ne lui était attribuée [dans ce Front populaire pour lequel il avait lutté]. Un jour il me dit :

- Il me semble que je devrais m’inscrire au Parti communiste.

- Pourquoi ? lui ai-je demandé. Vous n’avez pas envie de recommencer vos classes ?

- Je ne les recommencerai pas. Dès que je serai inscrit, on me donnera une fonction importante.

Les raisons de l'engagement de Nizan au Parti communiste semblent plus honorables, selon Henriette Nizan :

(pp. 133-134) [début de 1928] Des années plus tard, on a plusieurs fois écrit et dit que Nizan était entré au Parti par souci de carrière. Quand Paul-Yves s'inscrivit au P.C., il venait d'avoir vingt-trois ans. Il était normalien, il se dirigeait vers l'agrégation. Faire carrière au P.C. ? Un jeune agrégé rêvait alors d'un autre avenir! Nizan n'a jamais appartenu et n'a jamais voulu appartenir à aucune instance hiérarchique, à aucun bureau politique. Poser tel ou tel pion pour parvenir à tel ou tel poste lui faisait horreur. Nizan était véritablement un militant, non un opportuniste. Il était convaincu de la nécessité de la lutte et se donnait à fond dans son engagement. Il n'avait aucun goût pour le pouvoir, mais tenait à ses idées et voulait les défendre. Sachant écrire, et bien écrire, il se tourna donc tout naturellement vers le journalisme.

 

Les souvenirs d'Henriette Nizan relatifs à son mari sont largement utilisés dans cet article de Marleen Rensen, comme ils doivent l'être par tous ceux qui s'intéressent à Paul Nizan. Elle-même a toutefois sa propre personnalité et ses opinions, qui ne manquent pas d'insolence à l'égard de Malraux, en dépit de la gratitude qu'elle lui doit :

(p. 420) [mai 1968] Quant à Malraux, il était maintenant dans l'autre camp : ministre de la Culture, il avait retrouvé le général de Gaulle, un personnage à sa mesure. Qu'importe dès lors la politique au jour le jour. Ils travaillaient tous deux pour l'Histoire... Mais tout de même, voir Malraux au bras de Michel Debré et l'entendre chanter La Marseillaise avec une vingtaine d'autres gaullistes historiques (et hystériques), cela ne manquait pas de piquant.

 

 

© Jacques Haussy septembre 2007

© Henriette Nizan, Marleen Rensen, Clara Malraux

 

La traversée du tunnel posthume est presque terminée pour Paul Nizan et la sortie, sans être triomphale, est fort honorable. Il est amusant de lire ce que Raymond Queneau - né, lui, un an et quatre mois après André Malraux (et mort un mois avant lui) - a écrit de ses oeuvres dans la revue La Critique sociale :

Aden Arabie - n° 2, juillet 1931 : [Nizan disserte] sur l'Homo Œconomicus (un des passages les plus ridicules du livre) ou sur la vanité des voyages sans se douter un seul instant du néant de ses idées, de la fausseté des sentiments qu'il tente d'exprimer et du démodé des thèmes littéraires dans lesquels il se complaît.

Les Chiens de garde - n° 6, septembre 1932 : Le niveau théorique de ce livre est si bas, [...] la pensée si dégradée, que les citations de Marx y détonnent.

Il s'amendera plus tard (Le Voyage en Grèce, Gallimard, 1973, p 11) en avouant avoir commis dans La Critique sociale des pensums écrits souvent avec une insolence encore toute juvénile et bien légère, pour ne pas dire irréfléchie.

 

septembre 2007

© Raymond Queneau