André Malraux

André Malraux (1901-1976), le roman d’un flambeur, de Rémi Kauffer, Hachette Littératures, 2001

 

 

John B. Romeiser, dans un livre édité aux Etats-Unis (André Malraux : a reference guide 1940-1990, G. K. Hall, New York, 1994) a répertorié, analysé et résumé les publications sur Malraux parues pendant cinquante ans. L’ouvrage contient 1200 notices ! En moyenne plus d’un livre ou grand article chaque jour pendant les 20 dernières années de la période ! La cadence ne s’est certainement pas ralentie depuis lors avec la mise au Panthéon et le centième anniversaire de la naissance. Parmi tous ces livres, en voici un pris - presque - au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque (de la Ville de Paris)… André Malraux.

L’auteur ? Dans un numéro d’Historia (mars 2000) il est présenté comme historien et journaliste au bas d’un article titré « Malraux, un mythomane de génie », et écrivain, spécialiste des questions d’espionnage, au bas d’un autre article titré « L’Allemagne de l’Ouest soutient le FLN ». A la BnF 21 notices à son nom, dont 15 accompagné de Roger Faligot, et une avec Sophie de Lastours. Dernier ouvrage paru, en 2002 : OAS, histoire de la guerre franco-française.

 

Désinformation

J’étais circonspect avant d’ouvrir l’ouvrage, j’avais raison : non seulement il s’agit encore d’un « livre que c’était pas la peine », mais pire, il participe de la désinformation relative à Malraux, par un auteur spécialiste de la question puisqu’il a publié « L’Arme de la désinformation » (Grasset, 1999).

Désinformation relative à Malraux mais aussi à Sartre puisqu’on lit (pp. 259-260) : « Qui ne sait que Simone de Beauvoir se répand dans le Tout-Paris intellectuel pour soutenir avec aplomb qu’elle et Sartre auraient voulu faire entrer Malraux en 1941 dans un mouvement si clandestin que nul parmi les résistants n’en a jamais entendu parler ? En fait de clandestinité, on n’a vu réapparaître l’auteur des Mouches qu’à la fin des combats pour la libération de Paris, quand les risques n’étaient plus aussi considérables. L’homme a du talent mais aucun courage physique ; lui manque cruellement celui de savoir se jeter coûte que coûte dans l’action. » Ceux qui savent (voir Lévy sur ce site) apprécieront.

 

Quant à Malraux, quelques exemples :

- S’agissant de l’Espagne, copie conforme des thèses de Paul Nothomb sur un chef estimé, compétent, courageux, efficace… Le témoignage contraire d’un Jean Gisclon est ignoré, bien que Kauffer en ait connaissance puisque le livre de Gisclon est mentionné dans la bibliographie. La désinformation est donc patente. L’appréciation du général en chef de l’aviation républicaine Ignacio Hidalgo de Cisneros, quoique très connue (elle figurait déjà dans la biographie de Lacouture en 1973) est occultée…

- La Résistance de Malraux est mieux traitée car puisée aux meilleures sources (Penaud, Poirier, Coustellier…). Mais ce qui ternit l’étoile du grand homme est escamoté : rien sur sa récusation par les chefs des réseaux locaux, rien sur l’épisode du ficelage dans le coffre d’une voiture avant exécution, rien sur l’appropriation d’argent provenant du train de Neuvic… (voir Coustellier et Penaud sur ce site).

- La forme est journalistique avec une succession de scènes dans lesquelles les acteurs exposent des points de vue ou donnent des informations, ce qui permet toutes les manipulations. Ainsi le sujet du colonialisme est traité (p. 271) dans une conversation entre journalistes attendant la première conférence de presse du ministre Malraux en juin 1958. Moment favorable qui permet d’éviter de mentionner les abominations qui ont suivi (torture, censure, exécutions sommaires, 17 octobre 1961, etc.…), et où il vient de signer une pétition « contre l’interdiction du bouquin d’Alleg sur la torture ». De plus le personnage traitant Malraux de colonialiste est déprécié : « c’est drôle qu’il soit devenu colonialiste, remarque un confrère italien, souriant et pas mieux renseigné que les autres. »

- D’une façon générale le héros est présenté sous son meilleur jour, et ce qui pourrait porter ombrage à sa réputation est passé sous silence. Par exemple, le récit (p. 189) de la rencontre avec Clara dans un café de Toulouse en 1942 omet de mentionner que la demande de divorce condamnait celle-ci, juive. La visite de Drieu La Rochelle sur la Côte d’Azur en 1943 est présentée (p. 193) comme anodine, alors qu’il venait parrainer le fils d’André et Josette…

 

Un livre inutile

Un livre totalement inutile ? Pas tout à fait puisqu’il permet d’ajouter encore (voir Galante) de nouveaux exploits mythiques au palmarès guerrier du grand homme. Tiré de l’Almanach du RPF :

1940 : blessé et prisonnier. Un des exécutants du premier dynamitage (Toulouse).

1941 : chef du sabotage et du dynamitage du centre.

 

Et puis, deux révélations (anodines) : on fait connaissance avec Jean Cremet, l’inspirateur de La Condition humaine, et on apprend (p. 226) que Jacquot, le vrai chef de la brigade Alsace-Lorraine, et dont Coustellier signalait qu’il n’était entré dans la Résistance qu’au cours de la deuxième quinzaine de juillet 1944, « Au cabinet du ministre de la Guerre et au Service de renseignements pendant tout le conflit espagnol, [il] chapeautait le secteur " PR" (pour Propagande révolutionnaire) chargé de la surveillance des activistes d’extrême gauche engagés côté républicain… dont Malraux ! » Le monde est petit !

 

Et c’est tout. Encore un livre évitable, et même nocif, donc.

 

 

© Jacques Haussy, mai 2003