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MADAME MALRAUX, de Aude TERRAY, Bernard Grasset, 2013

André dans l'intimité



Cette biographie de Madeleine Malraux a déjà fait l'objet d'un commentaire. Il s'agissait de comprendre l'origine soudaine de la fortune d'André Malraux à la Libération (voir TH Penaud). Maintenant, voilà aussi un sujet sur lequel Madeleine était attendue, car elle ne l'avait pas abordé jusque-là : la vie intime de leur couple. Ce sujet est traité dans un sous-chapitre, titré André dans l'intimité, d'environ 970 mots. Très court donc, et donc traité de façon fort superficielle, mais qui constitue une synthèse intéressante pour sa conduite sexuelle avec toutes ses compagnes. On en a retenu ci-dessous environ 680 mots. En effet, on a supprimé les explications lyotardesques1 de son comportement, lesquelles sont contestables. Par exemple, "une enfance femelle" expliquerait, selon lui, "ses tics et ses spasmes de reniflement", c'est-à-dire son syndrome de Gilles de la Tourette. Absurde, puisqu'il s'agit d'un trouble neurologique héréditaire.

Petit complément : le commentaire d'un critique littéraire (André Rollin ?) du Canard enchaîné. A noter son erreur sur "Lorsqu'elle s'installe, après Clara..." : la compagne précédente n'était pas Clara Goldschmidt-Malraux, mais Josette Clotis.


Les femmes de sa vie s'accordent sur un point : Malraux est un amant timide.

C'est un jeune homme inexpérimenté que Clara épouse. Extravertie, ardente, féministe à sa façon, elle le guide et lui détaille ses attentes, quitte à heurter sa pudeur. L'objectif est atteint puisqu'elle évoque la « soumission au plaisir2 » qu'il lui donnait. Lui pourtant ne semble pas très attiré physiquement par sa jeune épouse, c'est elle qui trouve davantage de satisfactions dans leur relation.

En confiant ses secrets d’alcôve à Suzanne Chantal, l'amie de cœur, Josette décrit un Malraux ni très fougueux ni très attentif. Un premier baiser maladroit dans le taxi, une première fois «un peu ratée» suivie de semaines sans nouvelles, des retrouvailles sans s'approcher, une autre nuit d'amour rapidement. Les pudeurs d’André, son incapacité à la tendresse déconcertent la belle et lascive jeune femme qui se décrit comme «paralysée», en proie à un amour « éberlué et difficile ». Plus loin, sans doute pour se convaincre, elle affirme ne pas être attachée aux « réalités physiques de l'amour ». Dans une autre lettre datée d'un printemps à La Souco, elle s’étonne avec bonheur du réveil amoureux d’André après un long hiver, tout en se demandant si son amant ne serait pas « un peu homosexuel3 ». Solaire et sensuelle, Josette n'est pas une maîtresse comblée. Sur ce plan aussi, elle est dépitée.

Les quelques après-midi avec Louise de Vilmorin à la mi-août 1933, à l’hôtel du Pont-Royal et au Montalembert près de Gallimard ont sans doute été décevants. Pour elle comme pour lui. D’après ses biographes, Louise multiplie les passades. Coquette et narcissique, elle préfère la conquête au lit. Son mot est connu qui en dit long sur sa vision de « la chose » : « L'homme armé, c'est vraiment très laid. » En apprenant qu'elle a une nouvelle aventure avec un journaliste allemand, Malraux, exclusif en amour et furieux, rompt le jour du prix Goncourt. II dira de Louise à Madeleine qu'elle est frigide. Sophie de Vilmorin, la nièce de Louise et sa dernière compagne, décrit à son tour les pudeurs et la retenue du grand homme, sa difficulté à exprimer ses sentiments, la distance qu'il instaure avec l’être aimé et conclut avec regret : « Je n'ai pourtant pas eu accès à André Malraux tout entier4 ».

Rosine Delclaux, qui a son franc-parler et son bagout, à l'occasion d'une de ses visites annuelles à Boulogne pour embrasser son filleul Vincent, les bras chargés de cèpes et de foie gras, sa gourmette à la cheville, confiera à Madeleine qu’André avait certes toutes les qualités d'un homme d'exception mais qu'avec les femmes il était franchement « godiche » et mal dégrossi.

La passion charnelle, sensuelle, Madeleine l'a vécue avec Roland. Non seulement le jeune Malraux était très épris mais il avait une expérience des femmes bien supérieure à celle de son aîné. Dans l’intimité, la jeune femme découvre avec André un homme réservé, un peu muet, retenu. Très pudique, il passe de longues heures dans la salle de bains, en ressort emmitouflé dans sa robe de chambre, la rappelle à l'ordre si elle se promène dans la chambre en simple déshabillé : « Ne vous promenez donc pas toute nue ! » Parfois ardent, mais ne réussissant pas à se débarrasser de son angoisse des débordements et des démonstrations.

Malraux ne sait pas s'abandonner. Trop tourné sur lui-même, il veut tout maîtriser, le personnage qu'il se compose le dévore et l’empêche de s'accepter, d'aller à la découverte de l'autre. Sa méfiance du féminin le taraude depuis son enfance de jeune mâle couvé, étouffé par l'amour dévot de trois femmes en noir. [...] Ce sensuel cérébral, il faut le deviner, l'aider à se dénouer, à se libérer. Mais, à peine franchi le pas de la porte de sa chambre, André redevient Malraux. [...]

1 . Jean-François Lyotard, Signé Malraux, Grasset, 1996.

2 . Entretiens avec Pierre Démeron sur France Culture en 1973. Cités par Dominique Bona in Clara Malraux, Grasset, 2010.

3 . Suzanne Chantal, Le Cœur battant, op. cit., p. 275.

4 . Sophie de Vilmorin, Aimer encore, Folio-Gallimard, 1999, p. 126


janvier 2014