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JEAN-FRANÇOIS REVEL, extraits.



Jean-François Revel (janvier 1924 - avril 2006) a été toute sa vie un contempteur d'André Malraux. Les citations ci-dessous en apportent l'illustration. Elles sont presque toutes extraites du recueil Jean-François Revel, publié chez Bouquins, Robert Laffont, 1997. Par ailleurs, un article de L'Express du 16 octobre 1967 relatif aux Antimémoires, et dont l'entame et la chute figurent ci-dessous, peut être lu sur ce site à l'entrée Revel2 ou directement ici.



  • Le musée imaginaire n'est, en somme, que le musée des gens sans imagination. Le surréalisme même, février 1958.

  • « Le style vient de faire sa rentrée dans un domaine qu'il avait, ces temps derniers, exagérément déserté », applaudit Le Monde du 4 juillet [1958]. Pour être exact, la France a le bonheur d’être gouvernée non point par un, mais par deux stylistes puisque, usant à l'envi leur chaleur dernière, Malraux et de Gaulle réfléchissent leur double lumière dans leurs deux esprits, ces miroirs jumeaux. Malraux a le souffle, ce « souffle » (comme si le moyen d'expression privilégié de l'écrivain était dans les naseaux) cher aux esprits claudeliformes. Mais à côté de la prose soufflée de Malraux, nous avons la prose contrainte, restreinte, altière et dépouillée du Général. Les Français se font styliser tour à tour par Zarathoustra et Tacite, le principe dionysien et le principe apollinien, cependant que grouille à l'horizon la horde menaçante des solécismes et des pataquès de Radio-Alger. M. Malraux, ministre « du Verbe et du Geste » (Le Monde, 3 juin), utilise largement ces deux moyens d'action. Le Général, lui, s'en tient au Verbe. Pour tous deux, pour tout gouvernement de stylistes, l'essentiel est naturellement la parole, et la conviction de maîtriser par le mot, par la formule, bref par la phrase et les phrases, toute la réalité. France Observateur, 1958.

  • La franchise de Boileau, lorsqu'il s'attaque à Scudéri, est encore dépassée par le courage dont il fait preuve en parlant du tout-puissant Chapelain [...] Franc-parler méritoire car Chapelain ne représentait pas seulement, vers 1660, une sorte de tabou littéraire national, intangible comme peut l'être aujourd'hui Claudel, il disposait en outre d'un appréciable pouvoir temporel, puisqu'il avait la charge officielle d'établir la liste des écrivains dignes de recevoir du roi une pension. Il était en quelque sorte à la fois Claudel et M. André Malraux (Ou mieux encore, M. André Malraux lui-même. A l'époque où ces lignes furent écrites, André Malraux était ministre des Affaires culturelles). Sur Proust, 1960.

  • Ah ! Malraux ! De combien de phrases stupides et creuses vous êtes responsable - sans omettre celles dont vous êtes l'auteur. France Observateur, 1961.

  • ...Malraux, critique d'art, n'est qu'un vulgarisateur inexact et ampoulé. La Cabale des dévots, Introduction, 1962.

  • Nous sommes intelligents, mais quand le ministre de la C... accorde à l'Amérique les faveurs de la Joconde - ce grand chef-d’œuvre de la peinture française - et prononce à cette occasion des propos que désavouerait Bourvil, et qui eussent suffi à couler n'importe quel politicien il y a quelques années, il continue à passer pour un grand esprit. France Observateur, 1963.

  • Dieu créa Élie Faure, qui connut Worringer et engendra André Malraux, qui connut Focillon et engendra René Huyghe, qui connut Herbert Read et engendra Germain Bazin. Puis Dieu mourut et se fit remplacer par l'art, qui lui-même se fit remplacer par la philosophie de l'art. Cette école française de philosophes de l'art, que l'on pourrait appeler l'école de l'ample discours... l'infini n'est pas du tout pour effrayer cette école... L'Absolu est chez ces écrivains une sorte de minimum vital. Ils sont eux-mêmes la respiration de l'Absolu (Tiens, joli titre).

    Ce ne sont point pour la plupart à proprement parler des historiens de l'art. Ils repoussent du pied avec mépris le terre à terre chronologique, l'analyse minutieuse du caractère individuel des œuvres. Leur unité temporelle est le millénaire, et à la singularité de l’œuvre ils préfèrent la horde sauvage des styles conquérants, la succession des civilisations...

    ... il ne reste plus grand chose de notre "passion de l'art" lorsqu'on en a ôté d'une part notre passion des bonnes affaires et d'autre part notre passion des grandes phrases. Le Figaro littéraire, 1965.

  • De tous livres où l'on a tenté de lier l'action à la pensée, s'il fallait décider, par exemple, entre L'Espoir et La Trahison des clercs, lequel est le plus durablement révolutionnaire, le moins superficiellement engagé, je crois que je désignerais La Trahison des clercs. L'Express, 1965.

  • L'irruption de Malraux dans la littérature, entre les deux guerres, ressemble à celle, plus tard, du Cordobès dans la tauromachie. Le saisissement provoqué par son courage physique reléguait au second plan la question de son art.

    ... l'auteur devient émouvant, il révèle derrière le décor « frémissant » de son orgueil intellectuel et de sa morgue politique, une solitude, une incertitude, peut-être même une inquiétude, bref des dons : les « Antimémoires » sont d'un auteur qui a du mal à se trouver, mais plein de promesses. L'Express, 16 octobre 1967 (Les idées de notre temps, Chroniques de L'Express 1966-1971, Robert Laffont, 1972)

  • Une fois de plus, le gouvernement est en train de procéder de façon parfaitement antidémocratique, contre l'opinion de la majorité des urbanistes et en se passant de celle de la majorité des Français. Quant à la "culture" on voit bien, là encore, qu'elle n'est guère pour lui plus qu'une fleur à la boutonnière. L'Express, 23 octobre 1967.

  • Que de légendes vont s’effondrer !… Vu Olivier Todd en train de mettre la centième main à la millième réécriture de son Malraux, qui va provoquer la chute d’une fausse valeur…

    Ces patenôtres pâteuses, jalonnées de rapprochements vertigineux et d’enjambements racoleurs, flattaient malheureusement le public ivre de mots en lui communiquant l’illusion d’accéder aux cimes d’une critique visionnaire et transcendante, dédaigneuse du détail mesquin et de la sordide exactitude. Ces vendeurs d’orviétan lui fournissaient tout empaquetée l’intuition à prix fixe de trois millénaires en quatre paragraphes. Rien ne pouvait éloigner davantage de la compréhension et de la poésie de l’œuvre d’art. Le Voleur dans la maison vide, Plon, 1997.


janvier 2015