Les marchands de légendes

Les marchands de légendes, de Jean bourdier, Plon, 1978

 

 

Âmes sensibles s’abstenir ! Nous allons passer un moment avec l’extrême droite, laquelle, au moins celle issue de l’Algérie française, voue une haine profonde pour Malraux et les gaullistes en général.

 

[On rencontre cependant parfois à l’extrême droite, issus du gaullisme et devenus national-souverainistes, des admirateurs éperdus du grand homme. C’est le cas de Dominique Jamet, né en 1936, écrivain et journaliste au mensuel La Une. Il a publié dans Marianne n° 212 du 14 au 20 mai 2001, à l’occasion de la parution de la biographie d’Olivier Todd, un article titré « Si, Malraux était bien un grand homme ! » qui est une déclaration d’amour. Cet article a déjà été mentionné ici (voir Di Article), mais voici quelques mots supplémentaires à son sujet.

Après avoir fait la liste de ce que l’on peut porter au débit du « héros », Jamet énumère tout ce qui selon lui le rend néanmoins admirable. Le plus souvent il s’agit de jugements littéraires, comme par exemple : « Non, il n’a pas fait la révolution chinoise mais personne n’en a parlé comme lui. Il n’a pas vaincu Franco, mais il a gagné littérairement la guerre d’Espagne… » Lorsqu’il s’en tient aux faits, c’est pour les magnifier de façon outrée : « [il a] poursuivi sur le front d’Alsace, à la tête d’une brigade en haillons, un combat héroïque ». Accordons lui cependant que, lorsqu’il écrit « il est revenu [en Indochine] pour mener un combat acharné et inégal contre le colonialisme », il ne fait que reproduire l’erreur de Todd et de tous ses prédécesseurs.]

 

Jean Bourdier, né en 1932, est membre fondateur du Front national. Journaliste, il a été rédacteur en chef à Minute et a collaboré à National-Hebdo. Son livre Les Marchands de légendes contient un chapitre de 27 pages (sur 179) consacré à Malraux sous le titre André Malraux ou Le roman d’un tricheur. Il n’a aucun mal à récuser « qu'il avait été, en Chine, un chef révolutionnaire à l'action déterminante — voyez ses romans — que ses découvertes archéologiques avaient bouleversé le monde des savants, avant que son destin hors de pair ne le transformât fort logiquement en un as de l'aviation républicaine espagnole, un maquisard ayant libéré la France d'une seule main et une éminence grise politique prompte à se colleter avec les grands problèmes de notre pauvre monde. »

Dans ses grandes lignes la relation rapide que fait Jean Bourdier de la vie du héros est juste, même si elle prête à discussion ici ou là. Par exemple lorsqu’il donne à un frère de Clara un rôle déterminant dans la formation de l’escadrille « España ». Lorsqu’il juge que « si grand comédien qu’il ait été dans presque toutes les circonstances de sa vie, il se montrera, devant le malheur personnel, d’une dignité et d’un courage qui commandent le respect », il est permis, avec Dominique Jamet par exemple, de trouver choquant « qu’il a[it] vu son père, sa compagne, ses frères, ses fils disparaître tragiquement sans en paraître affecté ».

 

L’appréciation générale portée sur le grand homme national mérite d’être reproduite sans commentaire, car elle est d’une parfaite pertinence :

« Si la postérité montre quelque sens de la justice, elle retiendra, ne vous en déplaise, le nom d'André Malraux. Mais d'une manière qui n'est peut-être pas celle qu'attendaient le principal intéressé et ses hagiographes habituels. Elle passera sans doute rapidement sur le romancier, ignorera charitablement l'historien de l'art, enterrera pudiquement l'homme politique, mais tiendra à citer en exemple le plus merveilleux comédien et le plus grand virtuose de la contrefaçon ayant habité cette partie du XXème siècle, où la concurrence était pourtant rude.

Or, Malraux méritera entièrement ce traitement de faveur, car il aura été beaucoup plus qu'un praticien banal de la contorsion autobiographique et de la légende faite à la main. Il aura été, dans sa vie, sinon dans ses livres, un créateur quasi génial : l'inventeur et l'utilisateur presque exclusif d'un système de falsification par personne interposée propre à faire pâlir d'envie tous les grands imposteurs de notre époque. »

 

 

© Jacques Haussy, Janvier 2006