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LES IDÉES DE NOTRE TEMPS, Chroniques de L'Express 1966-1971, de Jean-François REVEL, Robert Laffont, 1972.



Les remarquables chroniques de Jean-François Revel parues dans L'Express de 1966 à 1971 ont été sélectionnées et réunies ici dans ce qui constitue une suite aux textes des Contrecensures (Pauvert, 1966). L'auteur ne fait pas encore montre de la suffisance, du contentement de soi et de l'esprit partisan qui seront les siens plus tard. Il rend compte avec pénétration et objectivité des ouvrages de ses contemporains, et accorde ainsi du crédit aux travaux de Pierre Bourdieu, Noam Chomsky... et convient même, avec Claude Julien (L'empire américain, Grasset, 1968) du néo-colonialisme des États-Unis.

S'agissant d'André Malraux, de nombreux articles constituent une critique implicite sévère de son action dans le domaine de la culture, notamment du théâtre. Cette critique s'étend à l'urbanisme et l'architecture, et il va jusqu'à écrire, à propos des Mémoires d'un architecte de Fernand Pouillon (Seuil, 1968) :

... divers scandales immobiliers ont fini par éclater et ont porté à la connaissance de l'opinion publique certains aspects de la profonde corruption affairiste du principal parti majoritaire de la Vème République. (p. 429)

Deux livres signés par le ministre font l'objet d'une chronique : Antimémoires (Gallimard, 1967) et Les chênes qu'on abat... (Gallimard, 1971). On ne dira rien de cette dernière titrée "Un goût de néant : de Gaulle parle à Malraux", laquelle constitue une satire des idées du Général, telles que rapportées par son zélateur, puisque l'on ne sait pas dans quelle mesure ce témoignage est fidèle.

Les Antimémoires sont jugés avec une grande férocité jubilatoire, qu'on appréciera avec ces superbes entame et chute :

L'irruption de Malraux dans la littérature, entre les deux guerres, ressemble à celle, plus tard, du Cordobès dans la tauromachie. Le saisissement provoqué par son courage physique reléguait au second plan la question de son art.

...l'auteur devient émouvant, il révèle derrière le décor « frémissant » de son orgueil intellectuel et de sa morgue politique, une solitude, une incertitude, peut-être même une inquiétude, bref des dons : les « Antimémoires » sont d'un auteur qui a du mal à se trouver, mais plein de promesses.

L'article tout entier mérite d'être cité, et d'ailleurs c'est fait     ici.

L'âge avançant, Jean-François Revel n'a hélas pas tenu la distance, comme déjà dit (voir Cr Revel). Il a notamment produit un ouvrage particulièrement médiocre titré L'obsession antiaméricaine (Plon, 2002, & Pocket, 2003). Serge Halimi, dans Le Monde diplomatique de novembre 2002, l'a critiqué de belle façon dans un article de 1600 mots titré "L'obsession philo-américaine". Vous pouvez en juger à l'adresse
http://www.monde-diplomatique.fr/2002/11/HALIMI/17039 .

Jean-François Revel, en notable des lettres, et en membre éminent de la société de connivence, dispose de chambellans qui s'extasient sur ses habits neufs. Pierre Boncenne est l'un de ceux-là, qui a publié un ouvrage titré Pour Jean-François Revel (Plon, 2006), lequel est un culte pour notre académicien  et une glose pour ses travaux. On en a extrait sa réponse à Serge Halimi (680 mots) que vous trouverez ici. Vous constaterez qu'en faisant mine de critiquer Halimi il confirme en fait toutes ses observations. Après avoir insinué que Halimi était un admirateur du despotisme, il retient trois de ses critiques. Il en approuve une et... ne désapprouve pas les autres. Ainsi par exemple, au sujet des 70 fois plus d'électeurs en Californie qu'au Wyoming pour envoyer un représentant au Sénat des États-Unis. C'est le vieux procédé des politiciens qui consiste à faire mine de répondre à une question par des mots hors sujet, et à occuper le terrain, à "enfumer" l'interlocuteur, sans répondre vraiment.

Le plus consternant et l'autre grande déception est l'aval donné à ce livre par Pierre Ryckmans qui l'encense dans Le bonheur des petits poissons (JC Lattès, 2008), tandis que Boncenne, dans le préambule de son livre, le remercie pour la relecture qu'il en a faite. Certes, Simon Leys a raison d'être reconnaissant de l'appui apporté par Revel à la publication au début des années 70 de ses essais sur la Chine, et il a en a conçu pour lui une grande amitié. Doit-il pour autant cautionner tous ses errements, et ceux de ses thuriféraires ?


Il est souvent dit, à la suite de Chateaubriand et De Gaulle, que la vieillesse est un naufrage. Cette image nautique n'est pas appropriée : un naufrage est un évènement trop soudain, exceptionnel, dramatique et sans rémission, pour que le mot soit ainsi galvaudé. Une autre image nautique est plus pertinente : alors que, jeune, on part pour des croisières océaniques téméraires et courageuses, à la voile et en solitaire, la vieillesse est une navigation sur un bassin de jardin public, avec des admirateurs autour de soi pour applaudir un joli bord, ou remettre sur un meilleur cap la maquette bloquée contre la margelle du bassin.



© Jacques Haussy, septembre 2011