LA compagnie des eaux

LA compagnie des eaux, de Jacques PERRET, Gallimard, 1969

 

 

 

à bord des bateaux il est des livres nécessaires, certains par obligation (Instructions Nautiques, Livre des Feux…), d’autres par plaisir, comme Sur l’eau de Guy de Maupassant, ou Rôle de plaisance de Jacques Perret (Gallimard, 1957). La Compagnie des eaux est un complément à ce dernier, tout aussi savoureux et jubilatoire, bien que moins connu.

Jacques Perret et André Malraux ont des points communs : nés à huit semaines d'intervalle la même année 1901 (Perret est décédé en 1992), ils ont eu la même admiration pour Charles Maurras, ont partagé le même éditeur, ont été gratifiés du même Prix Interallié (en 1930 pour La Voie royale, et en 1951 pour Bande à part)… Mais Jacques Perret tient André Malraux en piètre estime, comme on le constatera dans les deux extraits (pp. 43-44 et 118-119) ci-dessous, lesquels concernent deux bateaux, l’un le Matam, un « sloup à tape-cul vulgairement appelé yawl », à propos de sa vente, l’autre le Farfadet, un « canot breton  transformé », à propos de son achat.

 

 

… [Matam] l’autre, le vieux, le vendu, commença de revenir nous virer dans la tête, claquer du foc, grincer de l’emplanture, chanter la bouline, et nous mettre en demeure de reparler de lui. Je ne demande pas mieux, vous le voyez bien mais que ça lui plaise ou non, je conduirai mon affaire au présent, à l’imparfait, vent dessus dessous, à tous les temps, modes et allures que nous jugerons opportuns sans même reculer devant l’ubiquisme et la permutation des faits.

- Hé hé ? Le capitaine écrirait-il ses antimémoires ?

J’entends bien que le matelot s’imagine ironiser sur l’immodestie de mes prétentions, ou me surprendre en jalousie d’un célèbre amphigouriste attaché à la personne du général de Gaulle. Pourtant le mot dont il s’inquiète n’est qu’un phoebus culturel pour désigner une façon de discourir vieille comme le langage, banale s’il en fût, et que nous appelons passer du coq à l’âne. Quand l’exercice est pratiqué dans l’espace noble et le temps distingué on peut lui donner un titre rare si on a la clientèle pour. Selon les cas c’est donc le petit jeu anodin ou le grand jeu bien noué en cravate. En musique on appelle ça pot-pourri et en philosophie salade…

 

… [Farfadet] C’était le premier bateau dont je fusse propriétaire légal et capitaine légitime. Le gentilhomme breton qui, de loin, m’avait signalé l’affaire était un vieux copain des barbelés, personnage exceptionnellement doué pour rater toute espèce d’entreprise comportant la moindre idée de réussite, au sens mercantile du mot. Je m’honore d’avoir eu sur mon chemin un si fier et joyeux compagnon qui, fondateur d’un chantier naval éphémère et farfelu s’y ruina d’un cœur pimpant et le plus honnêtement du monde pour s’en aller au Canada se refaire la cerise en mémoire de son père qui fit jadis au Klondike fortune de rêve. A propos de farfelu il paraît que M. Malraux serait, sinon l’inventeur, le relanceur de ce mot utile. Nous n’allons pas nous en priver pour autant. Un mot promu, les façades ravalées, deux opérations d’utilité publique dans une carrière pareille, c’est déjà beau. Et s’il n’a pas pu faire le sacrifice de ravaler ses harangues aussi, ma foi tant mieux pour nos enfants qui s’en tiendront les côtes quand ils verront enfin rayonner sur les écrans tout le génie de la Révolution dans le florilège d’un pince-sans-rire…

 

Mars 2005

 

 

On a retrouvé des documents sur Matam ! Ils sont réunis sur le site www.jacques-perret.com .

Voici un échantillon des plans : il s'agit d'un yawl de type Seabird de 7,70 m (cliquez pour agrandir).

 

seabirdplan1.jpg (40658 octets)

 

 

janvier 2006