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DICTIONNAIRE MALRAUX, CNRS ÉDITIONS, 2011



Dans un premier temps, après avoir lu la notice "Beuret Albert", j'ai remisé cet ouvrage qui ne me paraissait pas en mesure d'apporter les renseignements que j'attendais (voir Réflexions - 26 novembre 2012). Et puis, curiosité aidant, j'y suis revenu, et je dois dire que j'y ai trouvé de quoi m'instruire, particulièrement sous la plume de Charles-Louis Foulon, que j'avais mis dans le même sac que ses deux acolytes malrauxlâtres du comité de direction, Janine Mossuz-Lavau et Michaël de Saint-Chéron. Ses articles consacrés aux collaborateurs et aux coulisses du ministère ("Bernard Antoine""Cabinets du ministre""Debré Michel""Loubet Georges"...) sont passionnants et, à ma connaissance, inédits. Du coup, j'ai ouvert son livre "André Malraux, ministre de l’Irrationnel" (Gallimard, 2010). Je n'ai pas réussi à le lire. A cause de sa forme d'abord : 360 pages de texte et 85 pages de notes reportées en fin de volume (nous sommes chez Gallimard) - 1379 notes ! En moyenne près de 4 notes par page à chercher en fin de volume ! Insupportable. Et, surtout, à cause de son tropisme malrucien qui le fait abuser des concepts creux caractéristiques de son sujet d'étude. Un échantillon : "...les décisions du ministre ont été animées d'une même conscience, celle de la grandeur humaine, et d'un invincible espoir, l'immortalité et la fraternité." Monsieur Foulon, pour faire œuvre utile, conduisez-vous en véritable historien ! Et vous éviterez peut-être en même temps les erreurs historiques, comme par exemple d'écrire que le mouvement Jeune Annam est devenu le Viêt-minh.

Françoise Theillou a rédigé les articles relatifs aux résidences. Hélas, elle a des difficultés avec la géographie : pour elle, sous le titre "Souco (La) (Roquebrune-Cap Martin)" (pp. 717-718), Cap d'Ail est "près de Saint-Jean-Cap-Ferrat", alors qu'entre ces deux communes se trouve Beaulieu-sur-Mer ; en revanche, elle aurait pu mentionner que Cap d'Ail est limitrophe de Monaco avec qui elle partage le quartier de Fontvielle. Pour elle, à Roquebrune, "à gauche l'Italie, à droite le rocher de Monaco", tandis qu'à Cap d'Ail "Monte-Carlo est à droite au lieu d'être à gauche". Comprend qui peut. Et puis savez-vous ce qui a rendu "la vie insupportable" pendant l'été 42 ? Il a fait très chaud !

Elle a aussi des difficultés avec la chronologie : à l'entrée "Berthier (boulevard)" elle raconte (p. 91) : "Il entreprend aussi avec Clara deux grands voyages, l'un au printemps de 1929 pour la Perse, avec retour par l'Irak, la Syrie et le Liban, le second de mai à novembre 1931, un périple qui se transforme en tour du monde grâce aux subsides de Gallimard ". En fait, comme on sait, ils ont fait trois grands voyages. Mais elle a des circonstances atténuantes : la chronologie "officielle" (il est vrai "établie par Michaël de Saint-Chéron") est elle-même fautive (pp. 836-837). En effet, pour 1930 n'est mentionné qu'un "Retour à Ispahan avec Clara".

Il faut lire l'article "Collection Malraux : «Les stucs afghans de la NRF»" de Pierre Cambon pour savoir que la date exacte du voyage en Afghanistan est justement 1930 (p. 184). Cet article est d'ailleurs remarquable et me réconcilie avec M. Cambon qu'il m'est arrivé de critiquer pour sa pusillanimité et sa complaisance pour le Grand Homme et ses trafics.

L'article "Cambodge : l'«Affaire d'Angkor»" (p. 131) est signé Raphaël Aubert. C'est un des plus longs (7 pages 1/2 - le plus long, ex æquo avec "Métamorphose des Dieux (La)" (signé Marie-Alice de Beaumarchais - pas lu), est le "Bangladesh" de l'inénarrable Bernard-Henri Lévy avec 9 pages. "Merci Bernard" ! Merci de nous avoir bien fait rire encore une fois ! Pierre Assouline a traité le sujet avec pertinence sur son blog http://passouline.blog.lemonde.fr/2011/12/07/malraux-en-miettes/). Cet article "Cambodge" n'est pas l'un des meilleurs. Il commence par vouloir nous faire croire que "les motivations liées à l'art et à la découverte d'autres cultures ont été plus que déterminantes..." (en fait, ce qui a été plus que déterminant est le besoin d'argent) et se termine par "...l'école française d'Extrême-Orient, ayant enfin pris conscience de l'importance artistique de Banteay Srei - mais s'en serait-elle jamais avisée sans l'extraordinaire clairvoyance de l'«amateur» Malraux ? - ordonne la restauration..." (l'importance de Banteay Srei était si méconnue qu'il figurait dans la liste de Henri Parmentier publiée sous le titre "L'Art d'Indravarman" (1919), comme le signale d'ailleurs l'auteur p. 132).

L'absence ou l'imprécision de certaines sources nuit à l'usage de ce qui se veut être un ouvrage de référence. Par exemple, à l'entrée "Trotsky Léon", Robert S. Thornberry date (p. 779) la visite de Malraux à Saint-Palais à l'aide d'une indication inutilisable ("Les Lettres nouvelles/Maurice Nadeau, 1978, pp. 78-79"), car insuffisante. Même remarque pour Jérôme Serri dans "Lescure Jean (1912-2005)" et son (p. 439) : "...peut-être Roland Barthes se serait-il abstenu de faire dans une même interview l'éloge de l'un [Queneau] et la critique de l'autre [Malraux]." Au passage, pour Lescure comme pour d'autres bénéficiaires, on observera qu'à aucun moment n'est prononcé le mot de "prébende".

Jean Lacouture continue de donner le beau rôle à André dans son renoncement au divorce, suite à la rencontre de Toulouse de juin 1941 ("Malraux Clara", p. 469). Janine Mossuz-Lavau parle bien du refus de Clara, mais date l'épisode de Janvier 1941 ("Malraux Florence", pp. 473-4). Qui a raison ? Dans le même article elle alimente le bêtisier (une récidiviste !) : "... dans le Sud-Est... à Sabadel, un village du Lot". Il s'agit du village de Sabadel-Lauzès, une centaine d'habitants, en Région Midi-Pyrénées, c'est-à-dire bel et bien dans le Sud-Ouest.

Une autre récolte pour le bêtisier, signée cette fois Pierre Nora, figure dans "Panthéonisation : 1996", p. 613, avec une citation faussée de Maurice Sachs : "un grand homme, mais tout en paille" !



Bien des remarques et critiques pourraient être ajoutées. Si des noms ne sont là que pour le décor et le name dropping, d'autres manquent tels ceux de Georges Gabory, Madeleine Caglione, Ludmila Tcherina, Lasserre... Dans la bibliographie, est notamment absent l'ouvrage capital de Geoffrey T. Harris "De l'Indochine au RPF. Une continuité politique" (Éditions Paratexte, Toronto, 1990). Absents également les livres (et les noms) de Jean Gisclon, René Coustellier... En revanche on y trouve Frantz-Olivier Giesbert, par exemple...

En définitive cet ouvrage est par trop inégal et manque trop de fiabilité pour être utile.


© Jacques Haussy, avril 2013