Vandegans

André VANDEGANS, La jeunesse littéraire d’André Malraux, essai sur l’inspiration farfelue, Pauvert, 1964





Malraux jeune André Vandegans (1921-2003) était un universitaire belge présenté dans la notice de la BnF comme « Essayiste. - Critique et historien de la littérature française, spécialisé dans l'étude des XIXe et XXe siècles. - Docteur en philosophie et lettres ». Ses sujets d’étude principaux ont été Anatole France et, surtout, André Malraux, dont il a retracé la jeunesse et analysé les écrits des années 1920 dans cet ouvrage, déjà ancien, et d’un précurseur puisque le premier des six tomes de souvenirs de Clara Malraux venait à peine de paraître, et la biographie de Jean Lacouture ne serait publiée que 9 ans plus tard. Cependant la qualité du travail, de l’édition et des sources (la plupart des protagonistes, maintenant disparus, ont pu être interrogés) continuent d’en faire une référence aujourd’hui et Lacouture en fera son miel. Mais, revers de la médaille, cette précocité fait que M. Vandegans succombe à tous les mythes sur André Malraux alors en pleine floraison. A commencer par le mythe du « révolutionnaire » en Asie qui a découvert la condition des indigènes et va leur apporter son soutien éclairé en créant un mouvement nationaliste et anticolonialiste.

L’ « Affaire de Banteay Srei » est traitée avec le recours aux journaux locaux, notamment L’Impartial qui la désigne successivement par Un vol de bas-reliefs à Angkor, L’affaire des statues d’Angkor, L’Affaire Malraux-Chevasson, et enfin, L’affaire Malraux. Le tout fort pittoresque au point de susciter la curiosité et de regretter de ne pas disposer de l’intégralité de ces articles. Messieurs les éditeurs, « Vol à Angkor », voilà qui serait un titre d’ouvrage aguichant !

Sagissant de l’inspiration farfelue, objet de l’ouvrage, elle est décrite et analysée avec force détails, gloses et précisions. Et puis, page 269, une phrase met en arrêt :


il met la main à de faux journaux de Baudelaire, publiés, en janvier 1927, sous le titre d’Années de Bruxelles, par Pascal Pia.


L’histoire des Années de Bruxelles est racontée par Michel Guittard (http://sd-1.archive-host.com/membres/up/946161398/pia/pia.pdf) :


Pour Baudelaire, si une première tentative de faux inédit, intitulé A une courtisane, réussit à tromper quelques spécialistes sans être incorporée aux Fleurs du Mal, la seconde est un franc succès. En effet, en 1927, Pascal Pia fait publier les Années de Bruxelles, journal et notes de Baudelaire écrits lors de son long séjour en Belgique. Tout y est faux, depuis l'introduction signée Georges Garonne jusqu'à l'autoportrait de Baudelaire. Cependant, le pastiche est si remarquable qu'un baudelairien reconnu incorpore, en 1931, les Années de Bruxelles à l'édition de la prestigieuse "bibliothèque de la Pléiade". Et l'on peut aisément imaginer Pascal Pia sourire doucement aux visages des "spécialistes" abusés.


Pascal Pia était donc capable d’écrire de faux textes de Baudelaire, mais aussi de Rimbaud, Apollinaire… d’une qualité telle, qu’ils étaient susceptibles d’abuser des spécialistes. Avait-il besoin d’aide ? Avait-il besoin qu’un Malraux y « mette la main » ? Certainement pas. Et surtout pas de la part d’André Malraux qui a toujours été très laborieux dans son écriture et a bénéficié de l’assistance de son épouse Clara pour toutes ses productions jusqu’à L’Espoir, même alors qu’ils étaient déjà séparés : ils se sont ainsi revus à Toulon pendant quatre jours en 1937 pour travailler sur le manuscrit de L’Espoir (Le Bruit de nos pas, tome V, La fin et le Commencement, pp. 174-176). Les Noyers de l’Altenburg a quant à lui été relu par André Gide lui-même au Cap d’Ail en été 1941 (voir TH Chantal 2).

Voilà ce que Pascal Pia pense des talents littéraires de son ancien camarade dans un entretien de 1975 publié par la revue Histoires Littéraires n° 35 (juillet-août-septembre 2008) :

"Avant [La Condition humaine], je ne savais pas [qu'il ferait une grande carrière d'écrivain], parce qu'il aurait très bien pu bifurquer vers autre chose, et d'ailleurs, entre nous soit dit, si l'expédition indochinoise avait tourné normalement, comme avaient fait quantité d'importateurs d'objets d'art khmer, c'est-à-dire s'il avait rapporté ce qu'il avait pris à Banteay-Srei, il est fort possible qu'il aurait fait une toute autre carrière, parce qu'il aurait eu de l'argent et il aurait peut-être eu envie de continuer à faire cela, parce que cela lui plaisait."

Si bien qu’une question se pose : Pascal Pia ne serait-il pas le vrai auteur des écrits de jeunesse d’André Malraux ?

Cette hypothèse qui paraissait saugrenue est de plus en plus vraisemblable au fur et à mesure qu’on étudie les deux personnalités et leurs productions, réelles ou supposées. À cet égard, il est opportun et utile de compléter et rajeunir Vandegans par l’article de René Fayt André Malraux, Pascal Pia et le monde du livre dans les années vingt ( https://www.andremalraux.com/?p=1556 ). Quant au chapitre sur Pascal Pia du livre de Maurice Nadeau Grâces leur soient rendues (Albin Michel, 1990), il permet de voir combien celui-ci était prodigue de ses dons : il fut le « nègre » de nombreux universitaires, dont un certain Frédéric Lachèvre, spécialiste de la littérature du XVIème siècle, et il prétendait avoir écrit ainsi onze thèses de doctorat.


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Plus que jamais l’avis des lecteurs est ici nécessaire, car, si aucune certitude ne se dégagera sans doute jamais, des indices, par exemple avec l’étude des manuscrits, pourraient cependant aider à se forger une opinion plus assurée.




© Jacques Haussy, juin 2020