Pléiade

BIBLIOTHÈQUE DE LA PLÉIADE





La Bibliothèque de la Pléiade présente toujours une édition très soignée des œuvres, accompagnée d’un appareil détaillé de notes, commentaires, description, localisation et analyse des manuscrits, etc. Parfois un plaisantin comme Pascal Pia réussit à y faire publier les Années de Bruxelles, journal et notes de Baudelaire écrits lors de son long séjour en Belgique. Tout y est faux, depuis l'introduction signée Georges Garonne jusqu'à l'autoportrait de Baudelaire. Cependant, le pastiche est si remarquable qu'un baudelairien reconnu incorpore, en 1931, les Années de Bruxelles à l'édition de la prestigieuse "Bibliothèque de la Pléiade" (Michl Guittard).


Il arrive aussi que des notes annexes soient fautives. Ainsi, au hasard de la lecture des « Notes sur le texte » dans le tome I des Œuvres complètes d’André Malraux, on tombe en arrêt devant celle relative à La Condition humaine (pp. 1301-2). En voici un extrait :


NOTE SUR LE TEXTE

La rédaction du roman :

Les indications sur la manière dont fut élaborée La Condition humaine ne sont guère nombreuses. Le seul document authentique à cet égard est constitué par une note que l'auteur a jointe au manuscrit du roman :

« Ce manuscrit, le seul de La Condition humaine, a été écrit en Chine, au Japon, aux États-Unis, à Paris, à Peira-Cava, à Paris, de septembre 1931 à mai 1933 (les derniers chapitres alors que les premiers paraissaient dans La Nouvelle Revue française).

« La Condition humaine est, à l'heure actuelle — 11 décembre 1933 — celui de mes ouvrages auquel je tiens le plus. »

La rédaction de La Condition humaine coïncide donc en partie avec le voyage autour du monde que l'écrivain fit avec sa femme et qui se prolongea près d'une année. Mandaté — et défrayé — par la maison Gallimard, il partait pour réunir les éléments d'une exposition destinée à montrer les rapports du monde grec avec le bouddhisme. L'itinéraire évoqué dans la note correspond à certaines étapes d'un périple qui avait d'abord conduit le couple en Perse, en Afghanistan, en Inde, à Singapour. Le romancier situe cependant en Chine le début de la rédaction du roman, conjonction où le symbole n'exclut pas, a priori, la réalité. Au demeurant, les voyageurs passèrent par Canton, Shanghai, la Mandchourie; puis ce fut le Japon et New York où le manque de fonds les immobilisa dix jours dans l'attente d'un mandat...

Il reste que la note de décembre 1933 n'indique que très sommairement, dans le temps et dans l'espace, les étapes de la rédaction du roman. Les possibilités de recoupement qui permettraient de la compléter n'abondent pas; Malraux, par exemple, mentionne son séjour dans les Alpes-Maritimes, à Peira-Cava, mais pas explicitement l'hospitalité que lui offrit Eddy Du Perron dans la vallée de Chevreuse. Et comment interpréter cette lettre à l'écrivain japonais Akira Muraki où l'auteur de La Condition humaine nie avoir visité Shanghai avant d'avoir écrit le roman ?...


Pour apprécier à quel point cette note de la Pléiade est erronée on lira la chronologie et l’itinéraire des grands voyages fournis par les meilleurs biographes (Curtis Cate par exemple), et on se souviendra que le but de ces voyages était l’achat d’œuvres aux fins de revente pour le compte de la Galerie de la NRF, et pas pour préparer une exposition. L’acquisition à Rawalpindi en août 1930 d’un lot important d’une centaine de pièces archéologiques d’art du Gandhara les a conduits à attendre pendant 5 jours l’accord télégraphique de Gaston Gallimard – à Rawalpindi et non pas à New York.

Chronologie et itinéraires des voyages de 1929-30-31 :

Mi-juin au 21 août 1929 - Marseille, Istanbul, Trabzon, Batoum, Bakou, Bandar-e-Pahlavi/Rasht, Ispahan ;

Fin juin à fin septembre 1930 - Moscou, Tachkent, Douchanbé, Kaboul, Ghazni, Kaboul, Jalalabad, col de Khyber, Peshawar, Srinagar, Rawalpindi - retour via Ispahan ;

Début mai au 14 novembre 1931 - Ispahan, Chiraz/Persépolis, Karachi, Jaipur, Varanasi (Bénarès), Patna, Darjeeling, Calcutta, Rangoon, Hongkong, Canton, Shanghai, Hang Tchéou, Pékin, Japon, Vancouver, Chicago, New York.

Une incertitude dans l’itinéraire subsiste quant à l’année 1931 : il est possible que, entre Pékin et le Japon, les voyageurs aient fait escale en Corée. On notera aussi qu’ils ne sont pas passés par Singapour ces fois-là. Enfin, se pourrait-il que chez Gallimard le rédacteur ait confondu Hang Tchéou avec la Mandchourie ?


A côté de la monarchie britannique, du Grand État-Major prussien… le pilier de la culture européenne que constitue pour la France la Bibliothèque de la Pléiade vacille parfois sur ses bases...



© Jacques Haussy, décembre 2020