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PASCAL PIA & ANDRÉ MALRAUX



Nous sommes en 1920. Deux jeunes gens de 17-18 ans viennent de faire connaissance dans les locaux de la revue parisienne Action. Cahiers de philosophie et d’art. Livrés à eux-mêmes, ils gagnent leur vie en exploitant leurs dons. L’un, Pascal Pia, a des talents d’écriture exceptionnels qu’il utilise en prêtant sa plume ici ou là. Il a déjà publié, dès octobre 1919, à 16 ans, des articles dans des revues anarchistes. Il est en effet profondément nihiliste et refuse d’être en pleine lumière. L’autre, André Malraux, est un remarquable laïusseur. Il s’adonne donc au commerce, dans le domaine des lettres et de l’art, à côté de tâches d’édition. Il a grand soif de renom et s’inventera pour cela des aventures étonnantes, voire, pour séduire des Max Jacob, un penchant homosexuel. Tous deux ont une mémoire prodigieuse, et une grande appétence pour le canular, le pastiche et la mystification. Leurs goûts et aptitudes sont complémentaires et vont pouvoir s’employer au mieux de leurs capacités.

Un jour, Pia, fatigué sans doute de faire du Baudelaire, du Laforgue, du Rimbaud, de l’Apollinaire… s’est mis à faire du Pia, c’est-à-dire du « farfelu ». Ne voulant pas éditer lui-même, il a donné ses textes à Malraux, lequel, en manque de notoriété, les publiera sous son nom d’abord en octobre 1920. Interrogé en 1967, il dira : « J’ai écrit Lunes en papier à 20 ans : une gloire de café. » (Pléiade p. 846) Il rétrocédera des textes de Pia à Louis Chevasson, l’ami d’enfance, et Maurice Sainte-Rose, le collaborateur journaliste saigonnais, aux fins de publication sous leur nom.

Quoique vraisemblable, cette histoire est hypothétique. Il y a un faisceau de présomptions, auxquelles on pourra joindre l’analyse de Lunes en papier par Jean Lacouture (Une vie dans le siècle, pp. 25-6, en Points) : « Cette mort en smoking et ces petits êtres ricanants et folâtres relèvent du nihilisme le plus lugubre et le plus radical ». On pourra aussi ajouter la remarque de René Fayt (André Malraux, Pascal Pia et le monde du livre dans les années vingt) : « Que ce soit sous la forme de suggestions, de conseils ou de trouvailles, la participation de Pia dans les réalisations éditoriales de Malraux ne fait à notre avis absolument aucun doute. » Mais aucune preuve ne pourra jamais être apportée à cette intuition d’une rédaction des Écrits de jeunesse d’André Malraux par Pascal Pia. L’examen des manuscrits pourrait peut-être permettre de lever le doute. Dans l’appareil accompagnant les œuvres publiées dans la collection « Bibliothèque de la Pléiade » figure toujours une description, une localisation et une analyse des manuscrits. Examinons cette étude pour Lunes en papier qui, à côté de Écrit pour une idole à trompe et Royaume-Farfelu, constitue le texte principal des Écrits de jeunesse. Elle figure au Tome I (pp. 855-6) des Œuvres complètes d’André Malraux. La voici (les localisations des manuscrits ont été supprimées) :


NOTE SUR LE TEXTE

Manuscrits:

Nous disposons de deux manuscrits qui permettent l'étude du texte de Lunes en papier. Le premier est un manuscrit incomplet, qui correspond en fait à l'édition séparée de « Prologue » dans la revue Action en [octobre] 1920. Nous l'utiliserons donc uniquement pour l'édition, en appendice (p. 29 et suiv.) de cette préoriginale — semblable, à quelques minimes variantes près, au manuscrit — dont le texte se trouvera considérablement modifié et visiblement augmenté dans l'originale. [...]

Le second manuscrit, complet, correspond, à quelques variantes près, au texte de Lunes en papier, tel qu'il fut publié en [avril] 1921 par les Éditions de la Galerie Simon. [...]

Le manuscrit complet de Lunes en papier se présente comme les feuilles détachées d'un cahier d'écolier, numérotées de 1 à 62. Seul le recto est utilisé, et il n'y a pratiquement pas de ratures. On peut donc supposer qu'il s'agit d'une copie de mise au net, ayant servi à la composition de l'édition originale. En voici deux preuves au moins : deux fois, au verso de la page 1, au recto de la page 2, figure, en surcharge, le tampon de la Galerie Simon ; à la page 5, après l'indication « Prologue », une main autre que celle de l'auteur a inscrit : « Pas de page blanche. »

Le texte de ce manuscrit autographe diffère peu de celui de l'édition originale. On relève cependant plus de quatre-vingts corrections stylistiques de détail, apportées sur les épreuves. […]


On voit que les manuscrits – ceux des deux autres textes sont de même nature - sont muets : ils ne confirment pas l’hypothèse énoncée, mais ils ne l’infirment pas non plus. On persistera donc à le prétendre : les « Écrits de jeunesse » ou « Écrits farfelus » d’André Malraux ont pour auteur Pascal Pia.



© Jacques Haussy, décembre 2020