MartinLES MÉMORABLES 3 (1930 – 1945), de Maurice MARTIN DU GARD, Grasset, 1978



Ces jours-ci, sur France inter, Régis Debray lit quasi quotidiennement une chronique intitulée Un été avec Paul Valéry. Un matin il a raconté que ce dernier avait qualifié André Malraux de « byzantin de bar ». Le problème avec les citations non sourcées est qu’il faut ensuite se grandement fatiguer pour en trouver l’origine exacte. Par exemple, dans le Dictionnaire Malraux (CNRS Éditions, 2011) on lit (p. 439), à l’entrée "Lescure Jean (1912-2005)"  : "...peut-être Roland Barthes se serait-il abstenu de faire dans une même interview l'éloge de l'un [Queneau] et la critique de l'autre [Malraux]." La dite interview figure où ? S’agissant du byzantin de bar la recherche est aisée : c’est un extrait des souvenirs de Maurice (1896-1970, ne pas confondre avec Roger (1881-1958), le Prix Nobel de littérature, un petit-cousin) Martin du Gard, parus en trois tomes sous le titre Les Mémorables. Voilà la citation complète, dans le volume 3, à l’article Confidences de Valéry :

Confidences de Valéry – Janvier [1932] (p. 82)

Malraux, me confie-t-il encore, est un byzantin de bar. Très curieux et très trouble. Il a été mon éditeur. C'est lui qui m'a fait cette affreuse édition des Odes qui s'est d'ailleurs assez mal vendue. Je le crois, du moins, car il n'a jamais pu me la payer. A la fin, sur mes récriminations, il m'a donné cela, un de ses vols en Indochine, je suppose, me dit-il, en allant vers cette belle tête, qui est même admirable sous la lumière de la lampe, et que je contemplais quand Valéry entra dans le salon.

Un « byzantin de bar » est donc quelqu’un de « très curieux et très trouble ». Bien vu. En prime on apprend la destination de l’une des têtes du Gandhara-Afghanistan que les Malraux viennent d’acheter en Inde à un trafiquant et de faire sortir du pays en fraude….

André Malraux figure aussi dans un autre article, relatif à Pierre Drieu la Rochelle, titré Les trois suicides de Drieu :

Les trois suicides de Drieu - [1944-1945] (p. 310)

Il y eut peu de monde à ses obsèques. Ceux qui auraient dû être là combattaient sur le front d'Alsace, ou ils étaient en prison, ou ils se cachaient. Drieu avait prescrit que deux d'entre eux suivissent son corps, Jean Bernier qu'il n'avait pas vu depuis dix ans, et André Malraux, qui, colonel aux F.F.I., ne put être touché à temps. Malraux, de la même race insolite, lucide, byzantine, possède, lui, la famille et les enfants qui vous sauvent, et à Drieu qui naguère ne l'avait jamais ménagé, il avait demandé d'être le parrain de son fils [...]

On enterra Drieu au cimetière de Neuilly. Sur sa tombe, on va prier, de jeunes inconnus, d'autres qui ont un nom, qui n'aimeraient pas encore qu'on les rencontrât là, et quelquefois des gens qui ne l'avaient jamais rencontré. « Je sais bien qu'on vit mieux mort que vivant dans la mémoire de ses amis », avait-il écrit dans le Feu follet.

Malraux « ne put être touché à temps ». Il ne s’est donc pas abstenu par lâcheté…


Jacques Haussy, août 2018