Legros

DOCUMENTAIRE de LAURENT BERGERS, écrit par HARRY BELLET,

LA VIE EXTRAORDINAIRE DE FERNAND LEGROS,

ROI DES FAUSSAIRES


Malraux à Tokyo - 22 février 1960
André Malraux inaugure la Maison franco-japonaise à Tokyo le 22 février 1960 – Archives INA (capture d’écran)


Ces temps-ci est multidiffusé un documentaire titré La vie extraordinaire de Fernand Legros au cours duquel un passage intrigue :

Au début des années 60 Legros vendit pour l’équivalent de vingt millions de dollars une cinquantaine de tableaux au Premier ministre japonais Eisaku Sato : « J’ai vendu des tableaux au Japon bien sûr. J’ai vendu à M. Sato, le premier ministre, pour les musées nationaux japonais ». Tous dûment certifiés et qui reçurent un imprimatur absolu quand André Malraux, en visite à Tokyo où les toiles étaient exposées eut cette phrase : « Dommage que ces chefs-d’œuvre aient quitté la France »

Cette dernière phrase vient en surimpression sur les images d’un discours d’André Malraux à Tokyo en février 1960 (capture ci-dessus). Problème : en 1960 M. Sato était ministre des Finances et non Premier ministre. Il ne l’a été, à trois reprises, qu’à partir de novembre 1964 et jusqu’en 1972. De plus, le discours dont on voit des images est bien connu et transcrit : il ne comporte à aucun moment la phrase mentionnée…

Harry Bellet, auteur du texte de ce documentaire, a raconté cette histoire dans le journal Le Monde du 28 juillet 2016. Il a aussi publié un ouvrage titré Faussaires illustres (Actes Sud, 2018) elle est reproduite :

Le milliardaire Meadows ne fut pas sa seule victime. Parmi les proies identifiées - par Legros lui-même - figure notamment un Premier ministre japonais, Eisaku Sato [..] : une cinquantaine de tableaux lui auraient été vendus, pour 20 millions de dollars. Legros racontait qu'en l'espèce l'"expert" fut André Malraux, en visite à Tokyo où les toiles étaient exposées : "Dommage que ces chefs-d’œuvre aient quitté la France", commenta Malraux, ce qui valait tous les certificats.

André Malraux aurait donc été utilisé à l’authentification de tableaux vendus par un faussaire notoire.

Un autre auteur, Roger Colombani, dans un ouvrage consacré au même personnage Fernand Legros (Des escrocs magnifiques - La vie tourbillonnante de Fernand Legros, marchand d’art et roi des faussaires, Flammarion, 1994, France loisirs, 1999) fait jouer à André Malraux le même rôle d’expert authentificateur dans une transaction au Japon :

Legros fait preuve d'un culot monstre. Il vend au musée d'Art occidental de Tokyo un faux Dufy refusé à Paris. « À une condition toutefois, exige le directeur de la galerie, c'est que l’œuvre soit authentifiée. - Ce ne sera qu'une formalité », rétorque Legros. Il se rend à l'ambassade de France où réside André Malraux, alors ministre de la Culture, en voyage officiel au Japon. Sans la moindre gêne, il demande au ministre d'authentifier le tableau, pour qu'il puisse entrer dans un musée japonais. « Ce sera une bonne chose pour la France », dit-il au ministre qui signe le certificat sans difficulté.

Les détails sont différents, mais la matière est identique : Malraux authentificateur d’une œuvre fausse. Cette propension à le mêler à des trafics d’œuvres d’art est étonnante. Il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches : il a une solide réputation dans ce domaine. On sait que, dès ses jeunes années, il a fabriqué de fausses dédicaces, de faux autographes, de faux textes… Selon Olivier Todd (André Malraux une vie, 2001, p. 63) il a possédé de faux Picasso et de faux Derain qu’il a vendu lorsqu’il était démuni dans les années 20…

Quant à la sortie de France de chefs-d’œuvre, il est bien placé pour en connaître, puisqu’en 1964 il a autorisé le départ pour la National Gallery de Londres du dernier tableau de Grandes Baigneuses de Cézanne encore en France (les deux autres sont aux États-Unis, à Philadelphie, Fondation Barnes et Museum of Art). Exploit qui lui a valu le mépris d’André Fermigier :

Les Baigneuses de 1904, qui n'ont dû de quitter la France qu'à la criminelle inconscience du ministre de la Culture de l'époque (André Fermigier, Le temple aboli, Le Monde, 25 avril 1978 ; article reproduit dans Chroniques d’art d’André Fermigier La bonne et la mauvaise peinture, Gallimard, 2002).


© Jacques Haussy, février 2019



S’agissant de faussaires, il est amusant de rappeler ce qu’en disait Stephen Vizinczey (voir Cr Vizinczey) :

Les Français ont à la fois les meilleurs intellectuels et le plus grand nombre de faussaires, et actuellement le roi des faussaires, appartenant à l’espèce que j’appellerais les charlatans de la culture, c’est André Malraux…

mars 2019