PAuVRE DE GAULLE !, de Stéphane ZAGDANSKI, Pauvert, 2000

 

Ce livre est curieux : donné pour un roman, il est en réalité tout à la fois un récit de voyage (à Londres), une chronique mondaine (terrasse du Flore et cocktail à La Closerie des Lilas - malheureusement les noms des protagonistes sont changés), un hommage à la compagne du moment (brésilienne juive hongroise - dans le livre suivant elle sera africaine, ce qui vaudra à l’auteur d’avoir à se défendre d’être raciste)… et un pamphlet contre de Gaulle. C’est là son mérite essentiel, mais pamphlet hélas gâché par l’entrelardage de propos sans intérêt. Il reste que l’attaque elle-même est sérieuse, argumentée et documentée et nous vaut des pages superbes. A commencer par la quatrième de couverture, qui est certes une tromperie sur la marchandise, mais constitue un beau morceau de bravoure :

 

Le Totem emblématique de la Nation, l’Idole suprême, le Sauveur providentiel, l’homme qui passe pour avoir rendu à un pays occupé par les barbares son honneur, sa grandeur, sa gloire, le libérateur solitaire, le stratège novateur, le démocrate acharné, le réformateur impassible, le justicier impartial, le négociateur impavide, le ferme décolonisateur de l’empire branlant, l’irrécusable mémorialiste, l’homme de lettres raffiné, le miraculeux réformateur de la Constitution moribonde, le thaumaturge de l’armée affaiblie, le prince du nucléaire, le pacha des formules, le génie des bons mots, l’aristocrate des bains de foule, l’inouï visionnaire de la modernité contemporaine… ne fut jamais au fond qu’un vulgaire politicien publicitaire au charabia charlatanesque, un diplomate cynique et ingrat, un menteur impénitent, un soldat raté, un théoricien surfait, un mégalomane colérique, autoritaire, despote dans l’âme, un bourgeois faible d’esprit, un réactionnaire stupide gavé - dès l’adolescence et jusqu’à son déclin sous les quolibets révolutionnaires - des pires idéologies que le XIXème siècle français a produites, un apprenti-écrivain vulgaire et laborieux, s’illusionnant sur tout et d’abord sur lui-même, féru des stéréotypes romantico-fascistes les plus écœurants, témoignant d’une indulgence proche de la fascination pour les pires canailles de son temps, insensible et paternaliste, vaniteux et grandiloquent, parfois paranoïaque, toujours mythomane, révisionniste, mystificateur, rigolo ringard.

Il était temps, après un demi-siècle de sottise française, de pulvériser le colosse de plâtre.

Place au rire…

 

L’ambition était donc grande, mais présomptueuse et vaine dès lors qu’elle était mise en œuvre dans une sorte de « roman » difforme, assumé comme tel (pp. 341 à 343 - le dédain à l’égard de la forme de l’essai est typique de l’intellectuel d’aujourd’hui désireux de retombées médiatiques rapides).

 

Malraux n’est pas oublié dans le jeu de massacre (p. 220) :

 

… Et le pire, c’est que ce style ronflant fut contagieux. Tous les gaullisants se mirent à l’emphase mièvre. (…)

Malraux surtout, et son affreux sous-lyrisme pâteux :

« Le battement éphémère des hommes montait de la ville comme le bruit des vagues vers le mur où les survivants commémorent les marins perdus en mer… »

Malraux en aura sorti des énormités. Ça lui jaillissait du gosier comme ses tics nerveux, des éruptions verbales, des rots langagiers, des convulsions de connerie expectorée grandiloquente. La plus comique, je crois, est celle-ci : « Le rival du Manifeste de Marx n’est pas une théorie gaulliste, c’est l’appel du 18 juin. »

 

© Jacques Haussy, janvier 2004

 

Ce dessin de David Levine trouvé sur le site de la New York Review of Books ( www.nybooks.com/gallery/267 ) paraît ici bien en situation :

 

 

 

 

 

 

© David Levine, 22 mai 1969