CORRESPONDANCE 1940/1971, de Vladimir NABOKOV-Edmund WILSON, Rivages, 1988

 

 

Dans une lettre du 17 novembre 1946, Edmund Wilson ( voir Ad Wilson) écrit à Vladimir Nabokov : "J'ai lu les premiers ouvrages de Malraux et ai conclu qu'il était sans doute le plus grand écrivain contemporain. As-tu déjà lu La Condition Humaine ? Je serais curieux de connaître ta réaction." Nabokov lui répond le 27 novembre dans une lettre en onze points dont voici des extraits. On observera qu'il peut le qualifier de brave homme, tout à fait correct : il était ignorant des mensonges et falsifications du héros, et notamment des détails de sa "participation" à la guerre d'Espagne et la Résistance. Ajoutons enfin que Nabokov donne une preuve de son goût très sûr en admirant Raymond Queneau (5 avril 1960) : "Oui, j'admire énormément ZAZIE DANS LE MéTRO, c'est vraiment un chef-d'oeuvre dans son genre "fantaisiste" (De Shakespeare à Joyce, l'art n'a-t-il pas toujours été fantaisiste ?)".

 

 

Je suis stupéfait de savoir que tu aimes les livres de Malraux (ou alors c'est pour me faire marcher ? ou bien les goûts en littérature sont-ils si subjectifs que deux personnes douées de discernement puissent réagir tellement différemment dans un cas aussi simple ?). C'est vraiment un écrivain de troisième zone (mais un brave homme, quelqu'un de tout à fait correct).

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2. Quel est ce grand silence de la nuit chinoise (essaie de remplacer : de la nuit américaine, de la nuit belge, etc., et de voir ce que ça donne — sans oublier, s'il te plaît, que la Chine est composée d'un grand nombre de milieux biotiques différents). Je me souviens d'une inscription en lettres d'or que je voyais dans mon enfance : « Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens. » L'œuvre de Malraux appartient à la Compagnie Internationale des Grands Clichés.

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4. N'as-tu jamais remarqué la manière qu'ont les mauvais écrivains d'essayer de donner de l'originalité à leurs personnages (désespérément inconsistants) en les affligeant de tics de langage [...] ? Je ne peux simplement pas te croire capable d'avaler les continuels bong de Tchen, les 'bsolument de Katow et autres soi-disant maniérismes qui me donnent la nausée (tous typiques d'un auteur qui, comme Malraux, est intrinsèquement dépourvu d'humour). C'est ce même procédé qu'ont largement utilisé les écrivains russes (soviétiques), dans un pathétique effort pour rendre un peu originaux ou sympathiquement pittoresques les loyaux communistes de marbre et d'acier qu'ils peignaient. Les auteurs de romans policiers font de même avec leurs fins limiers.

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8. Veux-tu réellement dire que tu n'as pas vu que La Condition Humaine (tout comme son Temps du Mépris) était une masse homogène de clichés ? Analyse donc les rythmes, d'une inconcevable banalité, de phrases comme jamais il n'eût cru , etc. (p. 202) ou il fallait revenir parmi les hommes et les innombrables autres platitudes (platitudes sombres, tranchantes, saccadées dans le meilleur moderne style mitraillette — ordre — du — jour — simplicité héroïquequ'il mourut).

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Tout ceci résume à peu près mon point de vue.

 

 

en italique : en français dans le texte

 

 

juillet 2008