André Malraux : a reassessment, de Geoffrey T. harris, MacMillan Press, 1996

 

 

L’enthousiasme - le mot n’est pas trop fort (voir TH Harris) - suscité par les écrits de Geoffrey T. Harris relatifs à « Malraux anticolonialiste » fait rechercher ses autres productions sur Malraux, et notamment à importer à grands frais de Grande-Bretagne ou des Etats-Unis cet ouvrage récent (£ 60 ou $90, plus les frais d’envoi - des exemplaires d’occasion sont toutefois disponibles).

 

Déception ! Certes, dans le premier chapitre consacré à la biographie du héros (André Malraux : 1901-45 and 1945-76), Harris échappe au mythe du héros anticolonialiste, et au chapitre 10 relatif au Miroir des limbes, il relève avec ironie ses propos supposés à Léopold Senghor : « Vous savez combien j’ai combattu la colonisation. Comme vous d’ailleurs ! » (La Corde et les souris) ou ceux que lui aurait tenus Chou En-lai : « Nous n’avons pas oublié que vous connaissez bien le marxisme, et la Chine… Nous n’avons pas oublié non plus que vous avez été poursuivi en même temps que Nguyen Aï-Quoc » (Antimémoires). Mais il n’en tient pas rigueur à son sujet d’étude, et surtout, il tombe dans le panneau de toutes les autres mystifications, jusqu’à le qualifier de « héros de la Résistance » dès la première page de la préface, et French Resistance leader dès la première page du premier chapitre, alors que le livre de Guy Penaud André Malraux et la Résistance figure dans la bibliographie ! Plutôt qu’un réexamen ou une réévaluation (« A reassessment ») ce livre n’est donc rien d’autre qu’un ressassement des hagiographies habituelles.

Le lecteur ne cesse de sursauter, non seulement à propos des indications biographiques, mais aussi pour l’analyse des œuvres, lesquelles font chacune l’objet d’un chapitre. Ainsi, les premiers essais auraient été précurseurs de l’existentialisme ( « proto-existentialists texts » ) et auraient inspiré Le mythe de Sisyphe et L’être et le Néant ! La Voie Royale en tant que roman d’aventures est comparé au monde de Jules Verne et Robert Louis Stevenson !… Cerise sur le gâteau, dans la conclusion, l’idée selon laquelle, au plan politique, ce n’est pas Malraux qui a changé après la deuxième guerre mondiale en se ralliant à de Gaulle, mais le statut international de l’URSS, laquelle d’alliée antifasciste est devenue une menace totalitaire. Rappelons par ailleurs que ce n’est pas Malraux qui a quitté les communistes mais les communistes qui l’ont rejeté, une première fois en Espagne (Olivier Todd a même trouvé un document dans lequel Marty parle de l’ « éliminer » - physiquement ? ), et une seconde fois dans les maquis de Corrèze, Dordogne et Lot. Il est permis de penser que Malraux aurait tenté de poursuivre son compagnonnage si les communistes avaient eu une chance d’accéder au pouvoir à la Libération.

 

Le meilleur de Geoffrey T. Harris est dans la mise au jour du caractère autoritaire et élitiste des engagements de Malraux et de leur nature profondément personnelle. Pour paraphraser une formule dont Malraux est l’auteur, on peut dire qu’il n’était ni de gauche ni de droite, mais de Bondy. Et toute sa vie il a voulu oublier et faire oublier qu’il avait grandi dans une épicerie de banlieue et qu’il avait quitté l’école primaire supérieure à 16 ans, et tous ses efforts ont tendu à faire partie de l’élite du pouvoir et des arts.

 

 

© Jacques Haussy, décembre 2005